ARGUMENT
Cherchant un axe fédérateur
pour ce colloque qui doit rassembler des chercheurs sandiens d’horizons
divers, nous avons pensé qu’il serait intéressant
de partir d’un lieu commun de la critique : la prétendue
spontanéité de l’écriture sandienne. Comme
Balzac, en effet, George Sand a souvent été étiquetée
par une critique perfide comme « un des écrivains les plus
féconds du XIXe siècle ». À rebours de ces
caricatures, c’est donc « George Sand au travail »,
dans son travail d’écrivain, que ce colloque prendra pour
objet. Il s’agit non seulement de réhabiliter George Sand,
mais aussi d’explorer ce territoire trop souvent négligé
: la poétique sandienne.
Notre parcours suivra les directions de recherche suivantes :
•
Genèses
On peut envisager la question génétique dans son acception
la plus stricte, c’est-à-dire comme étude des manuscrits.
On s’intéressera à l’étude des dossiers
préparatoires des œuvres, au travail de documentation et
d’information mené au préalable par l’écrivain.
On inclura dans cette rubrique les procédés de réécriture
chez Sand, dont certains romans, tels Lélia et Spiridion, existent
en deux versions, ainsi que les adaptations de romans pour la scène
théâtrale et autres translations génériques.
•
Le laboratoire d’écriture
Comment Sand écrit-elle ? Quelles sont ses pratiques d’écriture
mais aussi quels sont ses imaginaires — de l’écriture
et de l’écrivain ? Comment images et pratiques ont-il évolué
au cours de sa longue carrière ? La correspondance nous offre
quantité de pistes pour répondre à ces questions
que l’on pourra reprendre en suivant les dialogues épistolaires
qu’elle y mène avec ses pairs : Sainte-Beuve, Balzac, Flaubert,
Champfleury et quelques autres. Mais on peut y suivre également,
dans la polyphonie des dialogues qui s’y tiennent, l’élaboration
d’un roman particulier en en suivant tout le processus d’écriture,
de publication, de réception.
•
Le discours préfaciel
Affichant son refus de toute théorisation de la littérature,
George Sand a pourtant volontiers pratiqué ce discours de maîtrise
que constituent les préfaces. Sand a écrit trente huit
préfaces originales, trente neuf préfaces ou notices ultérieures
et trois préfaces générales pour les éditions
d’œuvres complètes. C’est dire l’importance
de ces textes stratégiques où l’écrivain
propose le mode d’emploi de son œuvre. Il faut ajouter à
cela les nombreux articles critiques que Sand a consacrés à
ses contemporains.
•
Questions de genre
On s’intéressera à la manière propre qu’a
George Sand de pratiquer plusieurs genres (à l’exclusion
de la poésie) : contes, nouvelles, lettres, journaux intimes,
autobiographie, sans oublier les romans, de toutes les sortes —
intimes, lyriques, champêtres, réalistes. Ce qui suppose
de sa part une pratique transgénérique voire parfois même
intergénérique, qu’elle partage avec pas mal de
ses contemporains (Hugo, Vigny, Gautier, etc.)
•
Questions de style
Le " beau style " a souvent été nié à
l’écrivain par la critique de son temps. Sand serait un
écrivain sans style, qui, selon son propre aveu, écrit
avec la même facilité qu’elle fait un ourlet ? Il
s’agira donc, non seulement d’élaborer une stylistique
sandienne, mais aussi d’interroger la réflexion de George
Sand sur la langue et ses usages littéraires. Car, contrairement
aux idées reçues, nous avons affaire à un écrivain
qui s’est constamment posé la question du style.
•
Penser l’écrivain
Comment Sand a-t-elle pensé son statut d’écrivain
en ce « siècle révolutionné » ? On
étudiera la place, ou plutôt, les places que George Sand
a voulu occuper dans l’espace littéraire de son temps.
Agent actif de l’évolution des genres littéraires
— et parmi eux, bien sûr, du roman — elle a également
contribué à faire évoluer les pratiques qui régissent
la production littéraire. Cherchant d’autres rapports avec
les critiques, les éditeurs, le public…, c’est le
statut de l’écrivain dans l’espace social de son
temps qu’elle a voulu reconsidérer, et peut-être
réinventer.
INSCRIPTIONS
L’inscription au colloque
et la réservation de votre séjour au centre de Cerisy-la-Salle
se font en contactant le centre :
Centre Culturel International
:
50210 Cerisy la Salle,
Téléphone : 02 33 46 91 66 (International : 33-2-33-46-91-66)
Fax : 02 33 46 11 39 (International : 33-2-33-46-11-39)
À Paris :
27, rue de Boulainvilliers, F-75016, Paris, France.
Téléphone : 01 45 20 42 03 (International : 33-1-45-20-42-03)
E-mail : info.cerisy@ccic-cerisy.asso.fr
Internet : www.ccic-cerisy.asso.fr
S’il est souhaitable d’assister
à l’intégralité du colloque, il est possible
de s’inscrire pour un nombre limité de journées,
dans la limite des places disponibles.
COMMUNICATIONS
•
Pascale AURAIX-JONCHIERE : « Poétique
de l’espace romanesque dans Lucrezia Floriani et Le
Château des Désertes »
(résumé)
•
Olivier BARA : « George Sand et le
renouveau du roman de comédiens: fonctions de la représentation
théâtrale dans la scène romanesque »
(résumé)
•
Claire BAREL-MOISAN : « Pour une
poétique de l’adresse au lecteur dans les préfaces
et les fictions sandiennes »
(résumé)
•
Janet BEIZER : « Autonymies : François
la Fraise et le nom du corps »
(résumé)
•
Simone BERNARD-GRIFFITHS : « Metella
(1833) de George Sand ou le double jeu »
(résumé)
•
Nathalie BUCHET-ROGERS : « Aux limites
du genre : séduction et écriture dans Isidora »
(résumé)
•
Gérard CHALAYE : « Un travail
de réécriture mythologie : Lélia 1833-1839
» (résumé)
•
Yves CHASTAGNARET : « Les hésitations
génériques dans les premières œuvres de George
Sand »
(résumé)
•
Brigitte DIAZ : « On ne changera
pas un mot à mon ouvrage : travail et présence de
l’écrivain dans la correspondance de George Sand »
(résumé)
•
José-Luis DIAZ : « Un «
écolier littéraire » à la recherche de son
identité (1831-1833) »
(résumé)
•
Béatrice DIDIER : « George
Sand et l’imaginaire de la musique »
(résumé)
•
Françoise GENEVRAY : « Adresse
épistolaire et écrits intimes : manipulations intergénériques
autour des Lettres d’un voyageur »
(résumé)
•
Nigel HARKNESS : « Ce marbre
qui me monte jusqu’aux genoux : Pétrification, Frigidité
et Réalisme dans Lélia (1833 et 1839) »
(résumé)
•
Pierre LAFROGUE : « L’impossible
clôture du roman sandien »
•
Brigitte LANE : « George Sand et
l’imaginaire celtique : jeux métaphysiques et textes à
double lecture »
(résumé)
•
Roland LE HUENEN : « George Sand
et l’écriture du voyage »
(résumé)
•
Marie-Cécile LEVET : « La
question de savoir s’il y a des fées ou George Sand conteur
» (résumé)
•
Maryline LUKACHER : « Grandeur et
servitude du roman-feuilleton : Consuelo »
(résumé)
•
Anne Mc CALL-SAINT-SAËNS : «
Pour une littérature industrielle : du produit Sand »
(résumé)
•
Catherine MARIETTE-CLOT : « Comment
écrire l’histoire du cœur ou le réalisme
sentimental dans les romans de George Sand »
(résumé)
•
Françoise MASSARDIER-KENNEY : «
Valvèdre : d’un manuscrit à l’autre
»
(résumé)
•
Catherine MASSON : « George Sand
et l’auto-adaptation de ses romans à la scène »
(résumé)
•
Isabelle NAGINSKI-HOOG : « George
Sand mythographe »
(résumé)
•
Cathy NESCI : « La flâneuse
travestie : George Sand et la polyphonie urbaine »
(résumé)
•
Christine PLANTE : « Le discours
sur le roman dans le roman »
(résumé)
•
David POWELL : « Entre Mozart et
Beethoven : le style romanesque de George Sand »
(résumé)
•
Annabelle REA : « La Filleule,
un roman exclusivement littéraire »
(résumé)
•
Marie-Claude SHAPIRA : « Entre dire
et taire : la poétique de la douleur dans l’œuvre
sandienne »
(résumé)
•
Merete STISTRUP-JENSEN : « Le fantasme
de la voix et de la langue secrète dans les Contes d’une
grand-mère »
(résumé)
•
Marie-Eve THERENTY : « Chaos ou poétique
éditoriale? Les Œuvres complètes de George
Sand par Michel Lévy »
(résumé)
•
Marie-Claire VALLOIS : « Ré-écrire
la famille : hérésie et merveilles sandiennes (1845-55)
» (résumé)
•
Sylvie VEYS : « Du populaire au littéraire
: constantes et variations des Contes d’une Grand-mère
» (résumé)
•
Martine WATRELOT : « Le Compagnon
du Tour de France : entre tradition et invention »
(résumé)
•
Jacinta WRIGHT : « George Sand :
théorie et pratique de l’intertextuel »
•
Damien ZANONE : « La scène
des préfaces – George Sand et l’inspiration »
(résumé)
RÉSUMÉS
•
Pascale AURAIX-JONCHIÈRE : Poétique
de l’espace romanesque dans Lucrezia Floriani et Le
Château des Désertes
L’argument du Château des Désertes (rédigé
en 1847, publié en 1851) prolonge celui de Lucrezia Floriani
(rédigé l’année précédente),
dont une partie du personnel romanesque réapparaît. Or
ce qui relie surtout ces deux récits est l’élaboration
d’une poétique de l’espace « feuilletée
», qui fait interférer plusieurs modes d’écriture
— et dont j’aimerais ici analyser les fonctionnements et
les enjeux, ces deux romans étant exemplaires d’une technique
plus largement utilisée par l’auteur. Roman italien, Lucrezia
Floriani se déroule près du lac d’Iseo, où
les protagonistes font halte lors d’un voyage qui les conduit
de Milan à Venise. Située tout d’abord à
Vienne, l’intrigue du Château des Désertes
se déporte en France, non loin de Briançon, au gré
d’un voyage placé sous le signe du hasard. Or dans les
deux cas, l’écriture de l’espace romanesque s’élabore
à un triple niveau : informée par des notations géographiques
précises, cette écriture pseudo-référentielle
(puisque aussi bien ces notations peuvent être controuvées)
recrée en fait la réalité au gré de la sensibilité
de l’auteur, générant une poétique de l’espace
typiquement sandienne, dont se dégagent un certain nombre de
constantes. Conjointement, travaillée par des allusions mythologiques
ténues et cependant prégnantes, cette écriture
s’infléchit au gré de structures « héritées
», émanant cette fois d’un imaginaire collectif véhiculé
par les mythes, auxquels puise incessamment l’écrivain.
•
Olivier BARA : George Sand et le renouveau
du roman de comédiens : fonctions de la représentation
théâtrale dans la scène romanesque
Un tropisme attire le roman sandien du côté du théâtre.
Quatre romans de comédiens, formant deux diptyques, retiendront
notre attention : Le Château des Désertes (1851),
L’Homme de neige (1858-1859), Pierre qui roule
et Le Beau Laurence (1870). Opéra et marionnettes, improvisation
et récitation théâtrales : sur le plan strictement
référentiel, ces quatre romans cherchent à couvrir
l’ensemble des arts du spectacle à une époque où
George Sand est reconnue comme auteur dramatique. Comment, d’abord,
ces « romans de cabotins » s’inscrivent-ils
dans une tradition romanesque (du Roman comique de Scarron
au Wilhelm Meister de Goethe) ? Comment se distinguent-ils
des romans de comédiens contemporains (Le Capitaine Fracasse
ou L’Homme qui rit) ? Comment, ensuite, théorie
et fiction, fantaisie et réflexion se mêlent-elles ? S’agit-il
pour le roman de forger une poétique dramatique, ou de réfléchir
plus généralement aux questions esthétiques et
éthiques liées à l’illusion et à la
fiction ? Comment, enfin, la référence théâtrale
influe-t-elle sur la composition et l’écriture du roman,
l’espace et les personnages, la narration et les dialogues ? Nous
espérons contribuer, à partir de ces romans « comiques
», à l’exploration de la poétique sandienne
entreprise par le colloque
•
Claire BAREL-MOISAN : Pour une poétique
de l’adresse au lecteur dans les préfaces et les fictions
sandiennes
L’enjeu de cette étude est d’analyser la manière
dont l’écrivain pense son rapport au public, et d’en
observer les conséquences sur son écriture. Dans le contexte
de diversification et de démultiplication des lectorats qui est
le propre du XIXe siècle, cette question revêt une importance
stratégique. A travers l’évolution de ses rapports
avec le lecteur, George Sand réfléchit sur le statut du
romancier et expérimente différentes postures d’écrivain
face à son public. Il s’agira donc d’étudier
les modalités de contact établi avec le lecteur dans les
textes sandiens, en confrontant notamment les pactes de lecture définis
dans les préfaces avec ceux qu’on rencontre au sein des
fictions. On verra comment la romancière tente de programmer
la lecture de ses textes, et on observera la variété des
tonalités d’adresse au lecteur, depuis les stratégies
de séduction ou de complicité ironique jusqu’aux
nettes déclarations d’hostilité. Des sélections
sont en effet fréquemment effectuées au sein du public,
certains lecteurs se voyant valorisés tandis que d’autres
sont rejetés (on comparera, dans cette optique, les adresses
à la lectrice à celles au lecteur). On s’interrogera
sur les moments du récit où sont concentrées les
adresses au lecteur, et sur leurs variations en fonction des différents
types de romans sandiens (intimes, lyriques, champêtres, réalistes,
etc.) ainsi que sur leur accord avec les modalités d’adresse
au lecteur dans les préfaces correspondantes. À travers
cette étude on tentera ainsi de faire apparaître la mise
en place d’une poétique romanesque sandienne spécifique,
qui repose notamment sur le lien créé avec des lecteurs
régulièrement interpellés au fil des fictions
•
Janet BEIZER : Autonymies : François
la Fraise et le nom du corps
On discute beaucoup la nomination de François le Champi. Ce personnage,
qui fait son entrée dans le roman sous l’identité
de celui qui est privé de père et donc de patronyme, est
connu d’abord par le nom de son état civil avant d’être
reconnu financièrement par sa mère, ce qui mène
à sa renomination légale et narrative : on remplace le
nom de son état par le nom d’un signe corporel, «
La Fraise », terme qui dénote ce que l’anglais appellerait
une « tache de naissance ». Cependant ce nom n’est
ni patronyme ni matronyme mais plutôt une autonymie : un nom acquis
plutôt qu’hérité. C’est bien ce que
je vais essayer d’établir dans ma communication, essayant
de retracer ce nom de personnage inédit à son propre corps,
à sa naissance à lui, à la naissance de son être
autonome. Chemin faisant, je vais explorer cette question si épineuse
de l’inceste dans François le Champi, m’interrogeant
sur les modes d’inceste possible dans un monde où n’intervient
pas le nom du père
•
Simone BERNARD-GRIFFITHS : Metella
(1833) de George Sand ou le double jeu
La dualité structure en profondeur Metella. Dualité
du décor (Italie ? Lac Léman), du système des personnages
(deux trios, deux amants, deux femmes tour à tour abandonnées),
dualité d’écriture (récit à la troisième
personne et lettre incluse), dualité du dénouement enfin
(en 1833 puis en 1852). Le double jeu perdure si l’on cherche
des échos à Metella dans les romans sandiens
de la même époque (Jacques notamment).
•
Nathalie BUCHET-ROGERS : Aux limites du
genre : séduction et écriture dans Isidora
Je propose de lire Isidora comme l’une des œuvres-clés
qui jalonnent les grandes étapes de l’évolution
de la voix narrative et de l’expérimentation esthétique
chez Sand. Sand nous propose un surprenant « portrait de l’artiste
» en courtisane vieillissante. Cette lecture permettra de définir
les paramètres de cette recherche en examinant les bouleversements
esthétiques qui accompagnent, après Indiana,
Valentine et Lélia la mise en intrigue d’un
nouveau personnage scandaleux. On a montré que les textes sandiens
centrés sur la prostitution s’inscrivent mal dans les schémas
traditionnels du canon de la littérature prostitutionnelle au
dix-neuvième siècle. Pourtant le modernisme et la facture
éclatée d’Isidora, en particulier, s’apparentent
assez aux expérimentations esthétiques qui caractérisent
dans le canon masculin la mise en intrigue de ce personnage retors.
Les enjeux de ce « modernisme » sandien ne sauraient cependant
être les mêmes. Texte des séductions du personnage,
Isidora est aussi un texte séducteur. L’examen
des multiples « scènes de séduction » qu’il
semble recréer en abyme autour de sa forme, véritable
corps du délit, révèle la façon dont Sand
parvient à infléchir les métaphores traditionnelles
de la création littéraire.
•
Gérard CHALAYE : Un travail de réécriture
mythologique : Lélia 1833-1839
Dans le cadre du « laboratoire d’écriture »,
notre contribution aura pour but d’étudier le « basculement
» mythologique effectué, au cours de la réécriture
de Lélia (1833-1839). Notre propos s’attachera
à la dynamique mythocritique du texte opposant le schème
du déclin, de la déchéance de l’humanité
et le schème ascensionnel optimiste. Dans ce cadre, l’ambivalence
du personnage du Réprouvé est notable car par sa réhabilitation
ou sa rédemption, il est, également, symbole du désir
de liberté, d’égalité et de bonheur. Mais
la rédemption du Maudit pourrait bien n’être que
l’une des innombrables facettes de la longue gnose prométhéenne.
Le personnage de Pulchérie introduit la dimension dionysiaque
et Sténio l’élément orphique bien que Trenmor
soit, lui aussi, « descendu aux enfers ». Lélia /
Pulchérie appartient, aussi bien, au ciel et à l’enfer
et est une figure de l’ange, comme "symbole des symboles",
retrouvant, finalement, l’angélologie gnostique ou religieuse,
en général. Phénomène dialogique entre deux
textes ? Nouveau texte qui effacerait l’ancien ? Pourquoi ne pas
dire, tout simplement, que les éléments prométhéens
finissent par l’emporter sur les éléments dionysiaques
ou orphiques ?
•
Yves CHASTAGNARET : Les hésitations
génériques dans les premières œuvres de George
Sand
Les premières œuvres de George Sand, avant Indiana,
témoignent d’un certain nombre d’incertitudes, en
ce qui concerne les choix génériques, qui tiennent à
la fois aux interrogations de la romancière au sujet de ses chances
de promotion auctoriale et à la tentation que représentent
sur le plan littéraire, dans les années 1830, certaines
stratégies d’évitement du roman, pratique à
risques pour un(e) débutant(e). Nous nous proposons d’étudier
plus spécifiquement trois d’entre elles : la « nouvelle
romanesque », grâce à laquelle la forme romanesque
tente de s’intégrer à l’organisation des journaux
et à leur distribution générique. Cette pratique
favorise la diffusion de la littérature du domaine privé
et assure la promotion des jeunes talents par son caractère insolite
et souvent provocateur, mais ne peut se comprendre qu’en relation
avec l’explosion de la mode hoffmanienne et le succès des
revues fashionables, comme La Mode ou La Revue
de Paris. Relèvent de cette pratique quasiment publicitaire
La Fille d’Albano et La Prima donna ; - la «
scène historique », représentée par Une
conspiration en 1537, mais aussi Jehan Cauvin, essais
dans lesquels Aurore paraît tirer parti, sur le plan de l’invention
et de la disposition dramatique, de la liberté laissée
dès l’origine par Ludovic Vitet, promoteur de ce genre
ouvert, à ses épigones; - la littérature panoramique,
qu’illustre de manière intéressante Le Commissionnaire,
pure opportunité alimentaire, mais qui a le mérite de
placer Aurore Dudevant et son collaborateur Jules Sandeau devant les
nécessités du roman d’observation, expression littéraire
particulièrement remarquable du libéralisme dans la mesure
où il constitue un puissant champ d’exploration socio-historique
de la société révolutionnée.
•
Brigitte DIAZ : "On ne changera pas
un mot à mon ouvrage" : travail et présence de l’écrivain
dans la correspondance de George Sand
Parmi les multiples fonctions que George Sand donne à sa correspondance,
la gestion de son œuvre est essentielle. S’y affirme, au
fil des années, une volonté de maîtrise, mais aussi
de contrôle de l’écrivaine sur toutes les étapes
de sa production littéraire. Laboratoire théorique où
penser les formes et les genres littéraires ainsi que leur devenir
sous l’influence pernicieuse d’une littérature qui
s’industrialise, la correspondance telle que Sand la pratique
est aussi un espace de réflexion critique sur son propre style,
un forum d’échange où élaborer une poétique
du roman, mais aussi un lieu de tractations avec les éditeurs
et les directeurs de revue, toujours prêts à « aliéner
» son œuvre, comme elle dit. La correspondance s’offre
ainsi à nous comme un miroir où se réfléchit
l’image de l’écrivaine dans toutes les phases de
son travail : du plus immédiat (rythme et protocole d’écriture,
traitement du manuscrit, correction…) au plus symbolique (affirmation
du pouvoir absolu de l’écrivain sur son œuvre). Bien
plus qu’un « discours d’escorte », la correspondance
est le moyen pour Sand de formuler ses postulations esthétiques
comme ses exigences professionnelles, de gérer la production
de ses œuvres et d’en fixer les modalités de publication.
En ce sens, c’est un poste de commande essentiel où l’écrivain
entend contrôler son œuvre, ses propres images, et établir
son pouvoir. En privilégiant la période de la «
maturité », de 1839 (la seconde Lélia)
à 1854 (Histoire de ma vie), cette communication se
propose d’étudier tous les aspects de cette réflexion
et de ce contrôle que George Sand exerce sur l’œuvre
en cours de création.
•
José-Luis DIAZ : Un « écolier
littéraire » à la recherche de son identité
(1831-1833)
Comment George Sand est-elle entrée dans le « champ littéraire
» et s’est-elle construit une identité d’écrivain
? Telles sont les questions auxquelles cette communication essaiera
de répondre. Mais il faudra aussi montrer comment la recherche
d’une identité auctoriale et la recherche d’une identité
tout court se sont conjuguées en ces années climatériques,
ainsi qu’en fait foi ce véritable journal qu’est
la correspondance de George Sand.
Les dates extrêmes sont celles qui séparent son arrivée
à Paris (janvier 1831) de la publication de Lélia
et de la rencontre avec Musset (juin-juillet 1833). Soit donc le moment
où celle qui va s’appeler George Sand décide de
gagner sa vie en écrivant et s’embarque « sur la
mer orageuse de la littérature ».
Il faudra prendre en considération les « écuries
» (littéraires et éditoriales) grâce auxquels
elle parvient à s’imposer, un peu par surprise, tenir compte
de son réseau de collaborateurs et de conseillers (Latouche,
Sandeau, Planche, Sainte-Beuve…), voir dans quelle mesure les
diverses œuvres publiées s’inscrivent ou non dans
une stratégie, ne pas oublier que cette débutante a le
souci de suivre la mode (voire de la précéder), et avoir
un œil sur la réception.
Enfin, cette entrée dans le champ littéraire sera étudiée
non seulement du point de vue des stratégies de carrière,
mais aussi des représentations de la littérature et des
imaginaires d’écrivain qui l’accompagnent.
•
Béatrice DIDIER : George Sand et
l’imaginaire de la musique
Il ne s’agira pas de revenir sur le sujet déjà souvent
traité de la formation musicale de George Sand, et encore moins
de ses relations avec le monde musical de son temps, mais de voir comment
s’écrit dans son texte un rêve de la musique: quels
personnages sont privilégiés pour être les porteurs
de ce rêve (ce ne sont pas forcément, en tout cas pas exclusivement
les personnages de musiciens), comment cette représentation imaginaire
de la musique s’intègre dans le récit, les formes
stylistiques que revêt l’expression de cette musique inouïe,
au sens propre du terme.
•
Françoise GENEVRAY : Adresse épistolaire
et écrits intimes : manipulations intergénériques
autour des Lettres d’un voyageur
Plusieurs Lettres d’un voyageur reproduisent et remanient
des fragments de la correspondance échangée par Sand avec
ses amis : c’est le cas notamment des numéros IV, V et
IX. Si la perte des manuscrits et celle des lettres authentiques dont
ils ont pu s’inspirer empêchent de mener une étude
génétique qui confronterait les originaux aux textes publiés,
elle n’interdit pas d’examiner dans ces derniers la mise
en place d’un dispositif d’énonciation singulier,
tendu vers l’autonomie alors même qu’il se subordonne
ostensiblement au précédent générique, lui-même
équivoque, de l’épître littéraire (lettre
purement fictive ou vraie lettre publiée avec d’éventuels
changements ?). Les Lettres d’un Voyageur perdent rarement
de vue le modèle qui dès l’Antiquité informe
l’épître, celui de la causerie. Pourtant, loin de
relever d’un genre exclusif, le mode épistolaire ou son
imitation, souligné par de fréquents appels à l’amitié
du destinataire, croise et même concurrence dans ces pages d’autres
types d’écriture de soi. Celle-ci n’a rien chez Sand
d’une catégorie étanche : aussi l’autobiographie
et surtout le journal intime sandiens entretiennent-ils des rapports
étroits avec la prose du « voyageur ». Rapports plus
ou moins manifestes selon qu’il s’agit de leur mise en forme
et de leur scénographie respectives (découpage du texte,
posture introspective du rédacteur) ou d’échos intertextuels
: on relève en effet des détails similaires dans notre
corpus et dans le Journal intime tenu par Sand à l’époque
(novembre 1834). D’ailleurs ce journal lui-même, forme hybride
marquée d’un dialogisme fervent, ne passe-t-il pas pour
une collection de lettres ? Les changements apportés à
la version initiale des Lettres d’un voyageur par les
éditions de 1837 et de 1843 exacerbent la concurrence déjà
remarquée : certains consolident le protocole épistolaire,
d’autres tendent à imiter toujours plus délibérément
le journal. Il convient d’affiner ces observations et de s’interroger
sur le sens de ces manipulations intergénériques. Car
si l’auteur mime la posture du diariste, l’épître
ne côtoie le journal autoadressé que pour mieux l’esquiver
: authentique ou fictif, le dialogue instauré par les Lettres
d’un voyageur viserait donc à décentrer le
sujet de lui-même et à objectiver l’écriture
de soi.
•
Nigel HARKNESS : « Ce marbre qui
me monte jusqu’aux genoux » : pétrification, frigidité
et réalisme dans Lélia (1833 et 1839)
Il est généralement accepté que les femmes-auteurs
en France au dix-neuvième siècle, et George Sand la première,
ne se sont pas associées à la poétique réaliste,
du moins dans ses formes canoniques (balzaciennes et stendhaliennes).
Dans le cas de Sand, il me semble que Lélia, dans ses
versions de 1833 et 1839, représente en abyme l’affrontement
de Sand avec les structures du réalisme. Non seulement ce roman
marque en 1833 une rupture avec la poétique réaliste qui
caractérisait les premiers romans de Sand, mais la réécriture
de Lélia en 1839 souligne sur un plan symbolique la
position contestataire de Sand vis-à-vis des structures du texte
réaliste. Il s’agira dans cette communication d’étudier
un réseau d’images et de structures liées à
la pétrification de l’héroïne: le marbre, le
corps féminin, le regard de l’homme-artiste, et le mythes
de Pygmalion. On lira ces images et structures dans le contexte de l’esthétique
réaliste qui naissait à cette époque.
•
Brigitte LANE : George Sand et l’imaginaire
celtique – jeux métaphysique et textes à double
lecture.
Dans un article de 1925, le célèbre folkloriste A. Van
Gennep, reprochait a Sand de mal connaître les coutumes du Berry
et d’opérer, dans ses oeuvres, une « fantastication
» inférieure à celle de Nodier. Cette communication
cherchera à montrer comment et combien, dans Jeanne et autres
oeuvres d’inspiration celtique, Sand s’appuie, au contraire,
sur une profonde connaissance des traditions celtiques et de l’architecture
symbolique des grands textes qui en sont issus. C’est ainsi qu’en
empruntant à leur symbolique sacrée, elle arrive a créer
une rhétorique métaphysique échappant au domaine
conventionnel du « religieux » qui résulte souvent
en des textes à « double lecture » : païenne
et chrétienne touchant au « merveilleux » mais aussi
le dépassant.
•
Roland LE HUENEN : George Sand et l’écriture
du voyage
Il s’agira de s’interroger sur les relations qu’entretiennent
Lettres d’un voyageur et Un hiver à Majorque
avec le voyage littéraire tel qu’il se définit en
France dans le premier tiers du XIXe siècle, à partir
du modèle fondateur issu de l’Itinéraire de
Paris à Jérusalem de Chateaubriand. Si ces deux récits
s’inscrivent bien dans la dynamique générale du
voyage romantique, notamment par la prééminence accordée
à la subjectivité du voyageur, ils le particularisent
néanmoins et l’interpellent dans son économie discursive.
Retenons par exemple que le traitement délibérément
équivoque de la fonction référentielle dans Lettres
d’un voyageur et le positionnement problématique de
l’instance narrative dans Un hiver à Majorque
provoquent un brouillage des frontières du genre. Apparaîtrait
dès lors un usage de la relation de voyage, susceptible de produire
des effets de sens autres que ceux qui lui sont normalement attribués,
et qu’il importera d’identifier et de décrire.
•
Marie-Cécile LEVET : « La
question de savoir s’il y a des fées » ou George
Sand conteur
Suggérant à Maurice Rollinat d’écrire des
vers pour les enfants, adaptés à leur sensibilité,
leur intelligence et leur imagination, George Sand ne lui cache pas
la difficulté d’une telle entreprise : « C’est
difficile, plus difficile que tout ce qu’on peut se proposer en
littérature ». L’écrivain parlait en connaissance
de cause puisqu’elle avait déjà écrit elle-même
des contes pour les enfants, avec le bonheur, dans tous les sens du
terme, que l’on sait. Il paraît donc intéressant
de se pencher sur cet aspect bien spécifique du talent de la
romancière, et d’étudier plus en détail,
principalement à travers les célèbres Contes
d’une grand-mère, quelle a été l’originalité
de George Sand dans ce domaine et comment elle a concilié dans
ce genre plusieurs fois millénaire, tradition et innovation,
plaisir du texte et apprentissage de la vie, réussite littéraire
et exigence pédagogique.
•
Maryline LUKACHER : Grandeur et servitude
du roman-feuilleton : Consuelo
Lorsque George Sand écrit : « J’avais commencé
Consuelo avec le projet de ne faire qu’une nouvelle »,
le projet d’écriture est loin d’être fini,
et Consuelo, La Comtesse de Rudolstadt seront publiés
en livraisons régulières entre 1842 et 1844. La nouvelle
musicale originale deviendra cette masse historique et romanesque, sur
l’émancipation de l’artiste et de l’humanité
qui fascinera, des années plus tard, Gustave Flaubert, comme
l’un des grands chefs-d’œuvre sandiens. C’est
à propos du rôle de l’artiste que Sand dira «
qu’elle n’est qu’une vieille harpe » sur laquelle
joue le vent, à son gré. Le concept sandien suivant lequel
l’écrivaine n’est qu’un « instrument
» ; une sorte de « passage » traversé par l’inspiration
est à la fois très ancien et aussi moderne comme si le
livre se fait dans l’absence du sujet et dans l’oubli de
soi.
•
Anne Mc CALL-SAINT-SAËNS : Pour une
littérature industrielle : du produit Sand
La révolution industrielle eut une influence énorme sur
les formes de la création littéraire, sur les éléments
des récits, enfin sur l’image que les auteurs se voyaient
attribuer et sur lesquelles ils jouaient dans leurs représentations
de soi. Si la crainte de se voir accuser de faire de « la littérature
industrielle » habitait les écrivains à la mode,
ils purent également jouer sur leur double statut de producteurs
de biens et de produits-mêmes afin d’articuler une identité
moderne. Sand se lança dans cette exploration avec un goût
particulier et avec une régularité qui rythme les étapes
de sa carrière professionnelle. Une comparaison de la représentation
de biens commerciaux, présentés dans un choix de romans,
avec les portraits que Sand fait d’elle-même comme produit
révèle une pensée matérialiste qui est étonnante
dans sa formulation et qui reste provocatrice dans ses implications.
•
Catherine MARIETTE-CLOT : Comment écrire
l’histoire du cœur ou le réalisme sentimental dans
les romans de George Sand
Dans une lettre à Émile Regnault de février 1832,
alors qu’elle est en train d’écrire Indiana,
G. Sand se demande : « […] quoi de plus intéressant
que l’histoire du cœur quand elle est vraie ? Il s’agit
de la faire vraie, voilà le difficile […]» (Corr.,II,
p.47) . Cette « vérité du cœur » est
au centre de la problématique romanesque sandienne, non seulement
comme postulat moral, mais comme recherche esthétique. Ce n’est
donc pas par le seul recours au « sentimental » que se dit
« le cœur » : le souci de « faire vrai »
exprime plutôt la nécessité d’équilibrer
les visions idéalisées qui sont parfois figurées
dans les romans par une attention portée à la construction
narrative et par un souci des réalités qui peut surprendre
chez celle qui ne se reconnaît pas toujours sous la bannière
du réalisme tel qu’il se dit dans ces années-là.
J’essayerai de voir comment par cette « histoire du cœur
» qu’elle se propose d’écrire, G. Sand interroge
la réalité de son temps, en la captant de l’intérieur,
« côté cœur », sans pour autant se laisser
entraîner vers un discours flou et mièvre qui nuirait à
la force de vérité qui tend sa narration.
•
Françoise MASSARDIER-KENNEY : Valvèdre:
d’un manuscrit à l’autre
Cette communication étudiera l’évolution du roman
de George Sand Valvèdre (1861) à partir d’une
analyse de la première version du roman, une soixantaine de pages
que l’auteur a abandonnées pour travailler sur le manuscrit
qui constituera la version finale. La comparaison des deux manuscrits
et une étude des corrections et expansions apportées sur
chacun d’eux nous permettra de mieux comprendre le travail de
Sand tant au niveau stylistique qu’au niveau thématique
et de tenter de définir ce qui résiste à la vitesse
de l’écriture sandienne.
•
Catherine MASSON : George Sand et "l’auto-adaptation"
de ses romans à la scène
Après avoir présenté la méthode d’adaptation
sandienne du roman à la scène, il s’agira de voir,
si entre François le Champi et Mauprat, la
technique a changé (nous évoquerons également les
autres adaptations qui ont été représentées
au théâtre : la translation du roman Tévérino
en Flaminio,comédie ; l’adaptation du roman Le
Marquis de Villemer et celle de Confessions d’une jeune
fille qui deviendra L’Autre au théâtre).
La question du personnage restera au centre de cette présentation
car, comme Dumas père l’a expliqué dans ses souvenirs,
alors que, lui, centrait son attention sur l’action lorsqu’il
écrivait une pièce, George Sand, elle, concentrait son
attention sur les personnages. Différents points de vue d’écrivains
du XIXe siècle nous permettront de mettre en évidence
les problèmes de l’adaptation du roman à la scène
mais avant tout d’observer Sand, la romancière-écrivain
de théâtre et donc, par là-même, d’évoquer
son écriture pour le théâtre qui n’échappe
pas à sa façon de concevoir le roman et ses personnages.
•
Isabelle NAGINSKI : « George Sand
mythographe »
À partir de 1839, année ou elle publie Lélia dans
sa deuxième version, George Sand s’est engagée dans
une réflexion sociale et philosophique considérablement
plus élevée que par le passe. Tout comme Pierre Leroux
s’était ingénié à proposer une Encyclopédie
nouvelle qui s’adresserait spécifiquement au XIXe siècle,
Sand a entrepris d’élaborer les éléments
d’une nouvelle mythologie et d’une nouvelle religion qui
amèneraient une re-sacralisation bien nécessaire a la
société française. Dans ce désir de faire
jaillir les réserves des forces vitales nécessaires à
un renouveau religieux, Sand semble avoir finalement répondu
à l’appel des philosophes idéalistes allemands Schelling
et Schlegel, qui prônaient la création d’une mythologie
authentique contemporaine au service des idées. Il la leur fallait
originale, syncrétique, qui reprendrait a la fois mythes païens
et légendes chrétiennes. Inspirée en partie par
les articles sur la philosophie allemande que Leroux et autres publient
dans La Revue indépendante entre 1840 et 1842, Sand a pris au
sérieux leur appel à un projet de renouvellement social
et s’est préoccupée de le mettre en oeuvre dans
ses romans. C’était sa conviction que la création
d’une mythographie à la mesure de la période post-révolutionnaire
entraînerait la France vers une éthique nouvelle et un
civisme fervent.
•
Cathy NESCI : La flâneuse travestie
: George Sand et la polyphonie urbaine
C’est la sociopoétique sandienne de la promenade et de
la flânerie que cette réflexion vise comme champ d’analyse.
Il s’agira d’observer quelques manifestations d’une
conscience de la ville moderne, chez Sand, et le dialogue que son ouvre
instaure avec les figures nouvelles de l’artiste, du voyageur
et du flâneur dans l’espace littéraire, culturel
et politique de son époque. Prenant la sociopoétique,
à la suite d’Alain Montandon, comme « l’étude
de l’inscription dans l’écriture des représentations
et de l’imaginaire de l’interaction sociale », je
me propose d’étudier la « sociopoétique »
de la flânerie et la scénographie du travestissement urbain
chez Sand. La théorie de l’ambivalence carnavalesque, développée
par Mikhaïl Bakhtine, éclaire les aspects narratifs et sémantiques
d’une sociopoétique des textes féminins. Dans quelle
mesure la fonction critique de la fête populaire, telle que M.
Bakhtine la décrit dans son étude de l’ambivalence,
du rire et de la polyphonie des textes de Rabelais et de Dostoïevski,
permet-elle de mieux saisir les rapports entre créativité
féminine et flânerie chez Sand ?
•
Christine PLANTÉ : Le discours sur
le roman dans le roman
Sand reconnaît dans Histoire de ma vie s’être
forgé du roman une théorie « encore en
discussion » à l’heure où elle écrit.
Cette théorie en devenir ne donne pas lieu à formulation
systématique, mais s’énonce de façon fragmentaire
et sans cesse reprise dans la correspondance, dans les articles critiques,
dans les préfaces, mais aussi dans les romans eux-mêmes.
C’est quelques éléments de cette théorie
que je me propose d’étudier, tels qu’ils apparaissent
dans les propos tenus par des personnages romanesques, ou encore par
la voix narrative. Je m’intéresserai en particulier à
la vision de la littérature et du récit, et à la
question de la fin, en examinant divers moments de la production sandienne.
•
David POWELL : Entre Mozart et Beethoven
: le style romanesque de George Sand
Je me propose de parcourir l’œuvre de Sand pour identifier
son attitude envers ses lecteurs et donc son principe de base pour l’artiste,
en l’occurrence pour l’écrivain. Mon but sera d’établir
une définition du style sandien dans son écriture romanesque.
J’établirai des principes de style littéraire à
partir des études de Genette, Riffaterre, Jenny Laurent, Schapiro
et Spitzer, entre autres. J’aménagerai un corpus de cinq
romans, à peu près un roman par décennie, afin
de présenter un aperçu global et, s’il y a lieu,
cadencé du style de Sand : Indiana (1832), Consuelo
(1842-44), Les Maîtres-Sonneurs (1853), Valvèdre
(1861) [ou : Melle la Quintinie (1863)] et Nanon (1872).
Pour corriger ou plutôt pour neutraliser mes conclusions, je terminerai
par une étude similaire de Lélia (1833-39).
•
Annabelle REA : La Filleule,
un roman " exclusivement littéraire "
L’étude portera sur un roman très peu étudié,
La Filleule, prenant comme point de départ l’intention
exprimée par Sand le 30 avril 1852 d’écrire «
une courte dissertation sur le but du roman en général
» (Corr. XI, 85) qu’elle pensait publier comme
préface au roman précédent, Mont-Revêche.
Le contrat pour la publication en feuilleton de La Filleule,
daté du 18 mai 1852, stipulait l’interdiction de traiter
« des matières politiques, sociales ou religieuses
»(Corr. XI, 362), obligeant Sand à faire un roman
« exclusivement littéraire » (Corr. XI,
157). Mon hypothèse est que ces deux facteurs ont déterminé
Sand à faire de La Filleule un roman sur le roman. Je
m’intéresse donc aux commentaires sandiens sur le roman
à l’époque de la composition de La Filleule,
ainsi qu’aux remarques des critiques sur la forme adoptée
par Sand et, surtout, aux différents procédés mis
en œuvre dans le roman écrit entre la mi-août et la
mi-septembre 1852. Ce roman ressemble à son protagoniste éponyme
en ce qu’il est hybride, avec ses journaux intimes, ses mémoires,
ses lettres, et ses autres fragments divers — le terme «
fragments » y paraît d’ailleurs à plusieurs
reprises. On pourrait même dire qu’avec ses personnages
qui écrivent et ses commentaires sur l’écriture
ainsi que sur le monde de l’édition, La Filleule
serait en quelque sorte la « dissertation sur le but du roman
» que « rumin[ait] » Sand en avril 1852.
•
Marie-Claude SHAPIRA : Entre dire et taire
: la poétique de la douleur dans l’œuvre sandienne
George Sand fut une femme malheureuse. Elle l’écrit à
longueur de pages de correspondance et d’autobiographie («
Le mal de ma vie est en moi ») et, en même temps, énonce
un code de savoir-vivre et les principes d’un stoïcisme qui
fixent les modalités et les limites de la confession : ce qui
peut se dire, ce qui doit se taire. De cette douleur elle fait œuvre
littéraire (« Je ne sais jouer qu’avec mes propres
désastres »). Pédagogue et idéaliste, elle
en cherche le bon usage et invente des remèdes à des souffrances
qu’elle s’efforce d’analyser dans leur universalité.
Elle sait également que la démarche qui conduit à
creuser la douleur est potentiellement déstructurante et use
de stratégies énonciatives diverses pour aménager
une bonne distance entre la vertu cathartique de la parole et la nécessité
de préserver le silence pour protéger l’essentiel.
Finalement, la maîtrise de l’œuvre, qu’elle revendique,
s’avère souvent illusoire. Le texte en sait et en dit plus
que son auteur. « L’Autre », quand il se fait entendre,
murmure indiscrètement ce qu’elle veut taire, échappe
à la loi, révèle la face sombre de Sand et sa profonde
marginalité.
•
Merete STISTRUP-JENSEN : Le fantasme de
la voix et de la langue secrète dans les Contes d’une
grand-mère
La communication étudiera la place du conte, en tant que genre
et écriture, dans l’œuvre sandienne, en s’intéressant
à ce qu’on pourrait appeler une « poétique
de la voix » : imagerie de la voix (surnaturelle ou non), rôle
de catalyseur dans l’intrigue, lien fondamental avec le fantasme
de la muse maternelle et avec l’oralité, support de l’énonciation
du conte. Appuyé sur l’intégralité des contes
de Sand, l’exposé privilégiera cependant une lecture
des tout derniers contes (L’orgue du Titan, Le Château
de Pictordu et Le Nuage rose).
•
Marie-Eve THÉRENTY : « Chaos
pour le lecteur » ou essai de « poétique éditoriale
»? Les Œuvres complètes de George Sand par
Michel Lévy
Cette communication se propose de revenir sur la publication des Œuvres
complètes de George Sand par Michel Lévy. Sans être
une entreprise pensée sur le modèle de La Comédie
humaine, cette formidable opération éditoriale dans
la lignée de la publication des œuvres complètes
au XIXe siècle se voulait idéalement pour George Sand,
la correspondance en témoigne, rationnelle et organisée
selon des critères génériques fiables (autobiographie,
romans, polémique...).L’examen de la préparation
de cette édition (à travers l’étude des correspondances
avec Lovenjoul et Lévy) nous renseignera ainsi sur la façon
dont elle concevait le partage générique de son œuvre.
Certains de ses choix révèlent des surprises.
L’étude des différents volumes montrera un certain
échec global de cette édition, seule édition complète
dont nous disposons pour l’instant, qui constitue selon la crainte
et l’expression de George Sand elle-même un « chaos
pour le lecteur ». Cette édition a trop répondu
aux critères dix-neuviémistes des logiques de volumes
(nouvelles bouche-trous, séparation de romans suivis, incohérences
chronologiques,...) pour représenter le souhait original de George
Sand. Rappelons qu’elle fut d’ailleurs à double titre
posthume puisqu’elle s’est achevée bien après
la mort de Michel Lévy et de George Sand elle-même. Mais
pourtant, malgré cet échec global concrétisé
par la présentation alphabétique de l’édition
en tête de chacun des volumes, se dessinent quelquefois au hasard
de certains volumes une relecture possible de l’œuvre de
Sand et de nouvelles conceptions poétiques. Notamment une «
poétique du recueil », caractéristique du second
dix-neuvième siècle, prend ici son sens. C’est à
cette poétique novatrice que nous nous intéresserons finalement.
•
Marie-Claire VALLOIS : Ré-écrire
la famille : hérésie et merveilles sandiennes (1845-1855)
Dès les deux premiers chapitres de ses mémoires, Histoire
de ma vie, Sand éclaircit selon une veine tour à
tour généalogique, historique, anthropologique et poétique
sa position sur l’idée de famille et sur les différents
exemples qu’elle a pu recenser à son époque : «
la religion de la famille, principe qui devrait être cher et sacré
à tous les hommes ». L’intérêt de ce
passage qui ouvre le premier volume des mémoires, est qu’il
met en scène la façon dont le mot « famille »
fonctionne, dès le début du récit autobiographique,
selon toutes les acceptions du terme. La richesse de la réflexion
sandienne sur l’idée de famille (avec ses variantes selon
le sexe et la classe) est donc intéressante en soi mais, plus
particulièrement, pour nous, parce qu’elle crée,
pour s’inscrire dans le système de représentation
esthétique de cette époque, de nouvelles formes d’expression
littéraire : le récit de vie, le conte et roman champêtre,
la correspondance intime ou publique et journalistique. À un
moment où s’inscrit, en lettres de feu, dans la production
du canon classique, les diverses versions du « roman familial
» bourgeois, les écrits sandiens sur la famille se forgent
une place à part dans l’institution littéraire et
font figure d’œuvre hétérodoxe. Ré-écrire
la famille revient, dans le contexte des écrits des dix années
1845-1855, à une pratique de vie pour le moins excentrique et
à un travail de représentation qui tient de l’hérésie
et de la merveille.
•
Sylvie VEYS : Du populaire au littéraire
: constantes et variations des Contes d’une Grand-mère
J’aborderai la genèse des Contes d’une Grand-mère,
et plus particulièrement l’élaboration du travail
littéraire, à partir de sources populaires. Suivant la
méthode de Wladimir Propp, je mettrai en évidence les
fonctions morphologiques typiques des contes populaires qui sont récurrentes
chez Sand, ce qui me permettra de tirer un constat général
quant à la stratégie d’écriture de ce genre
particulier. Que révèle ce choix (in)conscient de certaines
caractéristiques du conte ? Les analyses psychanalytiques de
Bruno Bettelheim me permettront d’éclairer également
sous un autre jour l’élaboration littéraire de ces
récits. Cette méthode d’analyse morphologique et
psychanalytique, similaire à celle que Béatrice Didier
avait appliquée aux romans champêtres dans George Sand.
Un grand fleuve d’Amérique, permettra de mettre au
jour la spécificité de l’écriture des contes,
nés de l’interférence de ces deux sources différentes
(la mémoire collective et l’imagination personnelle) qui
se complètent et se fondent en une œuvre particulière
sous la plume de George Sand.
•
Martine WATRELOT : Le Compagnon du
Tour de France entre tradition et
invention.
Le premier roman dit socialiste de Sand se présente lui-même
comme inspiré du Livre du Compagnonnage. Cet ouvrage
de Perdiguier qui ne se conforme à aucun genre littéraire
ou scientifique défini, peut se donner comme un livre du peuple,
en ce qu’il est écrit par un ouvrier cultivé pour
des lecteurs ouvriers, en conformité avec leurs habitudes littéraires.
La romancière va inscrire cet ouvrage inclassable dans la grande
tradition littéraire, par un travail de tissage romanesque mené
sur une documentation écrite mais aussi une collecte orale des
traditions populaires. Soumettant sa production au contrôle de
Perdiguier, elle noue avec lui un dialogue utile à accroître
la véracité de ses descriptions ou intrigues romanesques,
on voit mal ce qui, dans son écriture ressort du travail de l’imagination.
Après avoir répertorié la nature des emprunts les
plus importants, nous nous attacherons à l’analyse des
inventions autour de deux genres spécifiques à Perdiguier
: la saynète et la chanson de compagnon. Nous étudierons
comment l’écriture va servir ou infléchir à
la fois le modèle et un projet de roman destiné, comme
les précédents, à un lectorat féminin, mais
aussi, de manière plus innovante à un lectorat de jeunes
Compagnons.
•
Damien ZANONE : La scène des préfaces
: George Sand et l’inspiration
Les nombreuses préfaces que George Sand a rédigées
après plusieurs années de délai pour ses romans
(à l’occasion de la reprise de ceux-ci chez l’éditeur
Hetzel dans les années 1850) présentent une manière
spécifique : généralement courtes, ces préfaces
ne disent mot du contenu des romans et ne s’occupent que de contextualiser
un moment, celui de la création. Chaque préface montre
une scène d’énonciation ; leur succession déploie
la variété de ces scènes (multiplicité de
temps et de lieux) et aussi leur unité (notations climatiques,
scénographie du cercle familial, formulation idéale d’un
« je »). On rapprochera ces scènes des préfaces
des scènes où, dans Histoire de ma vie, l’écrivain
se montre dans l’acte de création. Ces morceaux de mise
en scène de soi inventant sont comme autant de variations par
lesquelles Sand, à terme, tend à constituer son personnage
comme une sorte d’allégorie de l’inspiration. Ce
rôle allégorique, Sand est parvenue à le tenir :
on ira en chercher le témoignage chez des lecteurs-écrivains
qui ont, à des degrés divers, révéré
Sand pour ce prestige (James, Dostoïevski, Proust). Pour ces écrivains,
le nom de Sand reste synonyme d’une initiation aux prestiges du
merveilleux ou du romanesque, il vaut comme une révélation
de l’imagination. La voix des préfaces a porté.
Avec
le soutien de l’Université de Caen et des Célébrations
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