Avant de répondre à cette interrogation, il convient de resituer LA NOTE BLEUE de George Sand.
Au début de sa relation avec Chopin, George Sand lui " avoua qu'elle regrettait de n'être pas musicienne...car le beau dans cet art l'impressionnait et la transportait plus que dans tous les autres’’.
( GS , HMV , IIe partie, ch. XV, La Pléiade, vol.1 , p. 626 )
En réalité, GS avait une grande culture musicale, et jouait très bien du piano.
On retrouve à plusieurs reprises dans l'oeuvre de GS des évocations de la musique de Chopin, qu’elle décrit avec beaucoup de finesse et de sensibilité.
Ainsi dans " Impressions et Souvenirs ", elle retrace un instant d'une grande intensité alors que Chopin est au piano.
Dans ce feuilleton, elle met en scène Delacroix, Chopin et Maurice.
Une discussion s’engage à propos du tableau d’ Ingres (La Stratonice), et Delacroix expose sa théorie mettant en parallèle musique et peinture.
GS dit avoir écrit le texte relatant cet échange le soir même, mais la date est incertaine.
Dans une lettre à Charles -Edmond du 9 septembre 1871 (Correspondance Garnier - Georges Lubin, tome XXII, p. 539), elle explique ses doutes :
" Concevez-vous que, sur le manuscrit, après la date de 184.., il y a un gros pâté, et qu'il nous est impossible de nous rappeler si c'est 1841, 42, ou 43 ? Il faudra que vous retrouviez au juste l'époque où Mr Ingres a exposé la Stratonice, dans une salle du Louvre je crois. "
(D’après G. Lubin le tableau aurait été peint en 1839 à Rome, mais n’aurait été exposé qu'en 1841. C'est 1841 qui sera retenu pour le feuilleton, pourtant G.Lubin penche plutôt pour 1842.)
Delacroix développe sa théorie :
"L'harmonie en musique ne consiste pas seulement dans la constitution des accords, mais encore dans leur relation, dans leur succession logique, dans leur enchaînement, dans ce que j'appellerai au besoin, leurs reflets auditifs. Eh bien ! la peinture ne peut procéder autrement!
Chopin s'agite sur son siège " permettez-moi de respirer... Le reflet, c'est bien assez pour le moment. C'est ingénieux; c'est nouveau pour moi ; mais c'est un peu de l'alchimie."
Delacroix poursuit sa théorie, au sujet des couleurs, des tons, des reflets, des ombres et des reliefs, mais Chopin s'installe au piano.
"Il ne s'aperçoit pas qu'on l'écoute. Il improvise comme au hasard. Il s'arrête.
- Eh bien ! eh bien ! s'écrie Delacroix, ce n'est pas fini !
- Ce n'est pas commencé, rien ne vient....Rien que des reflets, des ombres, des reliefs qui ne veulent pas se fixer. Je cherche la couleur, je ne trouve même pas le dessin.
- Vous ne trouverez pas l'un sans l'autre, reprend Delacroix, et vous allez les trouver tous deux.
Mais, si je ne trouve que le clair de lune ?
- Vous aurez trouvé le reflet d'un reflet, répond Maurice.
L'idée plaît au divin artiste. Il reprend sans avoir l'air de recommencer, tant son dessin est vague et incertain. Nos yeux se remplissent peu à peu de teintes douces qui correspondent aux suaves modulations saisies par le sens auditif. Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l'azur de la nuit transparente...."
Notre adhérent a été intrigué par la similitude des termes employés par GS "LA NOTE BLEUE," et par les jazzmen "THE BLUE NOTE "
La question était de savoir si les jazzmen s'étaient inspirés de GS pour qualifier une altération de certaines notes : dans le jazz et le blues " the blue note "est un note jouée ou chantée avec un léger abaissement, d'un demi-ton. Ce qui permet de créer des dissonances et un sentiment de plainte.
La question a été posée à l’un des directeurs artistiques du Festival Chopin de Nohant, Jean-Yves Clément, éditeur et écrivain :
''La "note bleue " de GS concerne la couleur d'un ciel, une nuit d’été, au clair de lune. Elle traduit ce moment privilégié de l'inspiration, qui la permet et la commence en même temps, instant ineffable et intraduisible...''
Alain Planés ancien soliste de l'Ensemble Intercontemporain donne, dans le Télérama hors série consacré à « 2010 Année Chopin », le concert de 1842 : sa vision de la note bleue:
« Dans ce concert, rien n’est gratuit, tout fait sens. Et pourtant ceux qui y étaient parlent de charme, de légèreté, de rêve éveillé. Même là, il devait chercher la note bleue, cette note qui donnait à elle seule la couleur du lieu et du moment. Dès la fin de l’Andante spianato, qui ouvre le programme, il y a un ré qui pour moi est la note bleue. Ai-je raison, ai-je tort ? A chacun sa note bleue. Olivier Messiaen, qui voyait la musique en couleurs, l’aurait peut-être entendue verte.
Cette idée de note bleue vient probablement du fait qu’à l’époque, avant de jouer un morceau, on préludait. Dans l’esprit de Chopin, la note bleue, cela devait être le si bémol qui va bifurquer sur un mi bémol, davantage qu’une note unique et particulièrement brillante.
On sait par Sand, que Chopin, au moment où il composait le prélude en do dièse mineur, avait une discussion sur la peinture avec Delacroix, qui lui parlait des couches successives qui font un tableau. On dirait que ce prélude est la réponse du musicien au peintre. »
La note bleue, cette simple épithète nous entraîne aussitôt dans l’univers poétique et magique des soirs d’été à Nohant…
Colette PETIT-PERRIN
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