Je
recherche des textes concernant Liszt, Chopin, George Sand et Marie
d’Agoult. Je recherche par exemple les références
de la longue lettre sur sa relation avec Chopin adressée au comte
Albert Grzymala qu'évoque Édouard Ganche dans son livre
« Frédéric Chopin, sa vie et ses œuvres »
aux éditions mercure de France. J'aurais aimé trouver
une lettre de George Sand ou de Marie D'Agoult évoquant leurs
amants respectifs ou encore une lettre de George Sand intéressante
adressée à Chopin ou inversement. Enfin si vous avez des
suggestions à me faire, je vous en serais très reconnaissante.
Merci pour votre aide |
Réponse de Sylvie Veys
Chère
Madame,
La lettre de George Sand adressée à Albert Grzymala que
vous recherchez se trouve dans le Tome IV de la Correspondance
éditée par Georges Lubin (pp.428-439). Cette lettre est
datée de la fin mai 1838. Sand est encore à Nohant. Elle
a appris l’existence de Marie Wodzinska, la petite fiancée
polonaise de Chopin, et s’inquiète à son sujet,
ignorant qu’ils ont rompu tout contact, la famille de la jeune
fille trouvant en Chopin un parti trop hasardeux. George Sand envisage
dans cette lettre toutes les possibilités concernant sa future
relation avec le pianiste. Elle attend de Grzymala informations et conseils
au sujet de Chopin.
Il y a peu de lettres intéressantes conservées entre Sand
et Chopin. Il semble que George Sand a brûlé cette correspondance
en 1851. Ne subsistent que quelques billets ou courtes lettres, le plus
souvent échangées quand Chopin regagnait Paris avant Sand
afin d’y donner des leçons et de retrouver la grande société
parisienne. Généralement, Sand s’inquiète
de sa santé et annonce son arrivée. Quand Maurice Sand,
le fils de George, est également dans la capitale, l’écrivain
leur envoie des lettres communes, affectueusement adressées à
ses « deux petits » ou ses « deux fils ». Chopin,
lui, écrivait peu et détestait tenir une correspondance.
Par ailleurs, Chopin était extrêmement réservait
et parlait toujours très pudiquement de sa relation avec George
Sand. Dans une lettre à Albert Grzymala, du 12 avril 1839, Chopin
mentionne brièvement sa compagne :
« Mes anges terminent leur nouveau
roman : "Gabriel". Elle va écrire aujourd’hui
pendant toute la journée dans son lit. Tu sais, tu l’aimerais
plus encore si tu la connaissais comme je la connais à présent.
» (Correspondance de Frédéric Chopin, Richard
Masse, 1981, tome II, pp.324-326.)
cette lettre a été écrite
à Marseille, au retour du séjour à Majorque.
Si vous recherchez un texte intéressant
de George Sand au sujet de Chopin, je vous conseille le chapitre XIII
de la Ve partie d’Histoire de ma Vie (tome II des Œuvres
autobiographiques, Gallimard, Paris, 1971, Pléiade).
Concernant George Sand et Franz Liszt, plusieurs textes des deux artistes
mentionnent l’art et la personnalité de l’autre.
Sylvie Delaigue-Moins a consacré un livre aux relations de ces
deux grandes personnalités (Franz Liszt et George Sand. Entre
amour et amitié, Lancosme Multimédia, 2000). Vous
trouverez ci-dessous quelques exemples de textes de George Sand au sujet
de Liszt :
« Qu’est-ce que Buloz me disait
donc hier de M. Liszt ? Est-ce qu’Alfred lui en aurait parlé
? Est-ce qu’il a pensé sérieusement un instant
que j’allais aimer M. Liszt ? Est-ce qu’il le penserait
encore ? Ah ! mon cher bien, si tu pouvais être jaloux de moi,
avec quel plaisir je renverrais tous ces gens-là ! Mais vous
n’êtes pas jaloux de moi. Vous avez fait semblant de croire
une chose que vous n’avez pas crue, pour vous débarrasser
de moi plus vite, et cela est mal, et si j’avais pu aimer M.
Liszt, de colère je l’aurais aimé. Mais je ne
pouvais pas. Faites des raisonnements là-dessus, M. Tattet.
Je serais bien fâchée d’aimer les épinards,
car si je les aimais, j’en mangerais, et je ne peux les souffrir.
[…] Mettre Liszt à la porte à présent,
quelle bêtise chez Buloz ! Pourquoi ? A cause de qui ? Je me
suis figuré pendant une ou deux entrevues qu’il était
amoureux de moi, ou disposé à le devenir. Peut-être
que si j’avais pu je l’aurais agréé. Mais
par la grande raison des épinards, je me sentais obligée
de lui dire - c’est-à-dire de lui faire comprendre -
qu’il fallait n’y pas penser, lorsque tout à coup
après la jolie réception que je lui ai faite devant
vous, chez Buloz, je me suis clairement convaincue, à la troisième
visite, que je m’étais sottement infatuée d’une
vertu inutile et que M. Liszt ne pensait qu’à Dieu et
à la Sainte Vierge qui ne me ressemble pas absolument. Bon
et heureux jeune homme ! » (Journal intime, dans
le tome II des Œuvres autobiographiques, Gallimard,
Paris, 1971, Pléiade, pp.958-959).
« La chambre d’Arabella [Marie
d’Agoult] est au rez-de-chaussée sous la mienne. Là
est le beau piano de Franz, au-dessous de la fenêtre d’où
le rideau de verdure de tilleuls m’apparaît, la fenêtre
d’où partent ces sons que l’univers voudrait entendre,
et qui ne font ici de jaloux que les rossignols. Artiste puissant,
sublime dans les grandes choses, toujours supérieur dans les
petites. Triste pourtant et rongé d’une plaie secrète.
Homme heureux, aimé d’une femme belle, généreuse,
intelligente et chaste. Que te faut-il, misérable ingrat !
Ah, si j’étais aimé, moi ! […] Quand Franz
joue du piano, je suis soulagé. Toutes mes peines se poétisent,
tous mes instincts s’exaltent. Il fait surtout vibrer la corde
généreuse. Il attaque aussi la note colère, presque
à l’unisson de mon énergie, mais il n’attaque
pas la note haineuse. » (Journal intime. Entretiens
journaliers, dans le tome II des Œuvres autobiographiques,
Gallimard, Paris, 1971, Pléiade, pp.980-981).
« Si je vous trouve à Genève,
je vous lirai ce que j’ai fait, et vous m’aiderez à
refaire mes levers de soleil ; car vous les avez vus sur vos montagnes
cent fois plus beaux que moi dans mon petit vallon. Ce que vous me
dites de Frantz me donne une envie vraiment maladive et furieuse de
l’entendre. Vous savez que je me mets sous le piano quand il
en joue. J’ai la fibre très forte et je ne trouve jamais
les instruments assez puissants. Il est au reste, le seul artiste
du monde qui sache donner l’âme et la vie à un
piano. J’ai entendu Thalberg à Paris. Il m’a fait
l’effet d’un bon petit enfant bien gentil et bien sage.
Il y a des instants où Frantz, pour s’amuser, badine
comme lui sur quelques notes pour déchaîner ensuite les
éléments furieux sur cette petite brise. »
(Lettre de George Sand à Marie d’Agoult, du 10 juillet
1836, dans Marie d’Agoult. George Sand. Correspondance, Bartillat,
Paris, 1995, pp.64.)
La Xe Lettre d’un Voyageur de George
Sand raconte son séjour en Suisse avec Liszt et marie d’Agoult.
Elle y décrit notamment ses émotions en entendant Liszt
jouer sur l’orgue de Fribourg le Dies irae de Mozart. Ce texte
est un magnifique hommage de Sand au talent de son ami. (Xe Lettre
d’un Voyageur, dans le tome II des Œuvres autobiographiques,
Gallimard, Paris, 1971, Pléiade, pp.881-916.)
Dans la correspondance que George Sand échange avec Marie d’Agoult
et Franz Liszt, le ton est souvent drôle, parodique, voire puéril.
Ce caractère général de leur correspondance rend
difficile l’échange d’idées plus élevées
sur leurs arts et les lettres « intéressantes » sur
ce sujet précis sont rares.
Franz Liszt, dans la biographie qu’il consacra à Frédéric
Chopin, donna ce portrait de ses deux amis :
« Il [Chopin] plaisait trop pour faire
réfléchir. L’ensemble de sa personne était
harmonieux, et ne paraissait demander aucun commentaire. Son regard
bleu était plus spirituel que rêveur ; son sourire doux
et fin ne devenait pas amer. La finesse et la transparence de son
teint séduisaient l’œil, ses cheveux blonds étaient
soyeux, son nez légèrement recourbé, ses allures
distinguées et ses manières marquées de tant
d’aristocratie, qu’involontairement on le traitait en
prince. Ses gestes étaient gracieux et multipliés, le
timbre de sa voix toujours assourdi, souvent étouffé,
sa stature peu élevée, ses membres frêles. Toute
son apparence faisait penser à celle des convolvulus, balançant
sur des tiges d’une incroyable finesse leurs coupes si divinement
coloriées, mais d’un si vaporeux tissu que le moindre
contact les déchire.
Il portait dans le monde l’égalité d’humeur
des personnes que ne trouble aucun ennui, car elles ne s’attendent
à aucun intérêt. D’habitude il était
gai ; son esprit caustique dénichait rapidement le ridicule
bien au delà des superficies, où il frappe tous les
yeux ; il déployait dans la pantomime une verve drôlatique
longtemps inépuisée, s’amusait souvent à
reproduire dans de bouffonnes improvisations les formules musicales
et les tics particuliers de certains virtuoses, à répéter
leurs gestes, leurs mouvements, à contrefaire leur visage avec
un talent qui commentait en une minute toute leur personnalité.
» (Chopin, par Franz Liszt, Paris, Buchet-Chastel,
1957, pp.182-183.)
« Brune et olivâtre Lélia
! tu as promené tes pas dans les lieux solitaires, sombre comme
Lara, déchirée comme Manfred, rebelle comme Caïn,
mais plus farouche, plus impitoyable, plus inconsolable qu’eux,
car il ne s’est pas trouvé un cœur d’homme
assez féminin pour t’aimer comme ils ont été
aimés, pour payer à tes charmes virils l’hommage
d’une soumission confiante et aveugle, d’un dévouement
muet et ardent ; pour laisser protéger ses obéissances
par ta force d’amazone ! Femme-héros, tu as été
vaillante et avide de combats comme ces guerrières, comme elles
tu n’as pas craint de laisser hâler par tous les soleils
et tous les autans la finesse satinée de ton visage, d’endurcir
à la fatigue tes membres grêles et de leur enlever ainsi
la puissance de leur faiblesse. Comme elles, il t’a fallu recouvrir
d’une cuirasse qui l’a blessé et ensanglanté,
ce sein de femme, qui, charmant comme la vie, discret comme la tombe,
est adoré de l’homme, lorsque son cœur en est le
seul et l’impénétrable bouclier ! »
(Chopin, par Franz Liszt, Paris, Buchet-Chastel, 1957, p.232).
J’espère que ces quelques pistes
vous aideront et je reste à votre disposition si vous souhaitez
de plus amples renseignements.
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