J’ai
entendu parler de la participation de George Sand à l’écriture
théâtrale de la pièce de Balzac, L’Auberge
rouge, tirée du même roman. Avez-vous des renseignements
sur cette éventuelle collaboration ? Merci d’avance. |
Réponse de Sylvie Veys
Un numéro entier de la revue Présence
de George Sand est consacré à L’Auberge
rouge. Il s’agit du n° 14, de juin 1982 (modalité
pour le commander sur notre site internet www.amisdegeorgesand.info).
Le texte de cette pièce de théâtre y est reproduit.
Il ne s’agit pas d’une collaboration,
mais d’une adaptation d’une nouvelle de Balzac que Sand
transforme en pièce de théâtre.
En septembre 1859, George Sand travaille à
plusieurs pièces de théâtre pour les représentations
de Nohant. Elle adapte d’abord une pièce de Ruzzante,
puis pense à adapter la nouvelle de Balzac, L’Auberge
rouge. Le 24 septembre, elle mentionne dans ses agendas qu’elle
termine le 1er acte. Sand écrit rapidement cette pièce
qui est montée à Nohant le 11 octobre 1859.
Pour adapter cette nouvelle, George Sand la
transforme assez radicalement. Si elle conserve le noyau narratif
(le crime commis dans l’Auberge d’Andernach en 1799),
elle change fortement la structure du récit, condition indispensable
pour lui faire passer la rampe.
Dans ses agendas, George Sand fait le compte
rendu de la représentation :
« Soleil et pluie. Journée
de costumes et de flânerie. Un peu de minéraux. On dîne
à 5 h. Les Duvernet arrivent de bonne heure, l’omnibus
à 8 1/4. On commence à 8 h 1/2 et 10 minutes. Succès
extraordinaire, enthousiasme. Rappel après le 1er tableau.
Manceau est pour de bon admirable, beau, jeune, fatal, effrayant,
disant et composant son rôle en maître. Maurice a été
dramatique, et attendrissant. Il a également bien composé
son réveil, et au second tableau, il a fait pleurer tout le
monde. Le 3e tableau n’offrait pas des situations aussi terribles
ni aussi larmoyantes. Les acteurs l’ont soutenu très
bien. Irma y a été charmante. Elle avait été
excellente en vieille dans la 1re partie. Marie a été
délicieuse et Jardinet très bon comme toujours. Nouveau
rappel et succès toujours croissant. Public très bon
sauf deux ou trois bêtes qui ont cependant été
émues, mais pas Télémaque. Il y avait Mme Tournier
et mes vieux Vergne. » (cité dans Présence
de George Sand, n°14, juin 1982, p.5.)
Le manuscrit de la pièce,
commenté par Thierry Bodin dans Présence de George
Sand, est également très intéressant, car
il témoigne admirablement de l’écriture théâtrale
sandienne. D’un canevas permettant l’improvisation, la pièce
devient de plus en plus œuvre littéraire écrite.
L’écriture est maîtrisée, Sand cherche les
effets de scène efficaces. Sand décrit aussi en détail
les décors souhaités et les accessoires indispensables.
La pièce abonde également en didascalies. Comme le remarque
Thierry Bodin :
« C’est la le signe d’un
métier sûr et d’une conscience dramatique développée.
Nous avons ici un document précieux, qu’on pourrait
dire pris sur le vif (il n’a pas été revu pour
la publication, contrairement aux pièces parues dans le Théâtre
de Nohant), sur les représentations de Nohant, équilibre
parfait entre le professionnel et l’amateur au meilleur sens
du terme. » (cité dans Présence de George
Sand, n°14, juin 1982, p.7.)
Balzac, décédé en 1850,
n’a donc fatalement pas eu connaissance de l’adaptation
que George Sand fit de sa nouvelle écrite en 1831.
Cependant, cette adaptation n’est que
l’épilogue d’un riche dialogue littéraire
entre les deux grands romanciers. Balzac avait dédié
à George Sand Les Mémoires de deux jeunes mariés,
tandis que cette dernière avait offert à son ami, en
visite à Nohant, le sujet de Béatrix, qui racontait
les amours douloureuses de Liszt et Marie d’Agoult.
Lors de cette visite du romancier à Nohant,
en 1838, celui-ci dressa pour son Etrangère, Eve Hanska, un
portrait détaillé de George Sand (nuancé par
le fait qu’il ne souhaitait pas provoquer la jalousie de sa
lointaine amie) :
« J’ai abordé
le château de Nohant le samedi gras, vers sept heures et demie
du soir, et j’ai trouvé le camarade George Sand dans
sa robe de chambre, fumant un cigare après le dîner,
au coin de son feu, dans une immense chambre solitaire. Elle avait
de jolies pantoufles jaunes ornées d’effilés,
des bas coquets et un pantalon rouge. Voilà pour le moral.
Au physique, elle a doublé son menton, comme un chanoine. Elle
n’a pas un seul cheveu blanc, malgré ses effroyables
malheurs ; son teint bistré n’a pas varié ; ses
beaux yeux sont tout aussi éclatants ; elle a l’air tout
aussi bête quand elle pense ; car, comme je le lui ai dit après
l’avoir étudiée, toute sa physionomie est dans
l’œil. Elle est à Nohant depuis un an, fort triste,
et travaillant énormément…
La voilà dans une profonde retraite, condamnant à la
fois le mariage et l’amour, parce que, dans l’un et l’autre
état, elle n’a eu que déceptions. Son mâle
était rare, voilà tout. Il le sera d’autant plus
qu’elle n’est point aimable, et, par conséquent,
elle ne sera que très difficilement aimée. Elle est
garçon, elle est artiste, elle est grande, généreuse,
dévouée, chaste ; elle a les grands traits de l’homme
; ergo, elle n’est pas femme. Je ne me suis pas plus senti qu’autrefois
près d’elle, en causant pendant trois jours à
cœur ouvert, atteint de cette galanterie d’épiderme
que l’on doit déployer, en France et en Pologne, pour
toute espèce de femme. Je causais avec un camarade. Elle a
de hautes vertus, de ces vertus que la société prend
au rebours. Nous avons discuté avec un sérieux, une
bonne foi, une candeur, une conscience dignes des grands bergers qui
mènent les troupeaux d’hommes, les grandes questions
du mariage et de la liberté…
J’ai beaucoup gagné en faisant reconnaître à
Mme Dudevant la nécessité du mariage, mais elle y croira,
j’en suis sûr, et je crois avoir fait du bien en le lui
prouvant. Elle est excellent mère, adorée de ses enfants
; mais elle met sa fille Solange en petit garçon, et ce n’est
pas bien. Elle est comme un homme de vingt ans, moralement, car elle
est intimement chaste, prude, et n’est artiste qu’à
l’extérieur… » (cité par MAUROIS André,
Lélia ou la vie de George Sand, Hachette, Paris, 1952,
coll. marabout, p.289).
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